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« Quand on a 20 ans, la retraite, c’est loin… »

PAR RAPHAËL MURISET, JOURNALISTE

Par le biais d’une campagne volontairement décalée et humoristique, la Fondation Artes & Comoedia tente de sensibiliser les travailleurs de la culture quant à l’importance de la prévoyance. Un défi majeur, parsemé d’embûches, qui passe certes par la sensibilisation, mais sans doute aussi par plusieurs changements de fond.

Si lutter contre la précarité inhérente aux métiers de la culture est une tâche colossale à laquelle aucune véritable solution n’a encore été trouvée, il est essentiel de disposer d’outils afin que celle-ci ne s’aggrave pas au moment de la retraite : voilà, en résumé, la mission de la Fondation Artes & Comoedia depuis 1975. Une ambition qui n’a rien d’une sinécure puisque la pratique professionnelle d’une activité culturelle rime souvent avec des contrats de courtes durées et donc non soumis à l’obligation de cotiser à la LPP.


Pour rappel, selon la loi sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, un salaire annuel minimal de 22 680 francs constitue la condition préalable à ladite obligation. Un casse-tête auquel la Fondation de prévoyance Artes & Comoedia répond en soumettant à cotisation les salaires des actifs dans les domaines de la culture, des arts, du spectacle et de l’audiovisuel, et ce dès le premier franc gagné auprès des employeurs affiliés. Une pratique qui permet ainsi aux professionnels de la branche de se constituer, eux aussi, un capital de deuxième pilier afin de voir venir la retraite avec un peu plus de sérénité.

 

Col en V et faux nez

 

Voilà donc pour le dispositif. Mais comme il suffit rarement d’adosser une bêche contre un tuteur pour y voir pousser des tomates, dans le domaine de la prévoyance non plus, l’instrument ne fait, hélas, pas tout. Raison pour laquelle, année après année, l’un des principaux défis de la Fondation Artes & Comoedia consiste à convaincre les employeurs, les employés, les indépendants et les collectivités de la nécessité d’user de ses services afin de garantir une prévoyance aux travailleurs de la culture. Le tout, notamment, à coup d’information et de formation.

 

Un travail qui, au fil des ans, s’avère payant si l’on en croit le nombre d’assurés et — plus réjouissant encore — celui des employeurs affiliés. Respectivement 5829 et 1109 à fin 2023. Des chiffres qui démontrent que la branche est désormais largement convaincue de l’importance du sujet. Une évidence qui sonne comme une victoire dans un milieu où le terme « retraite » a longtemps évoqué une perspective réservée aux salariés au long cours, plus souvent vêtus de chemises à col en V que de costumes ou de faux nez. Mais reste que comme toujours, tout n’est pas parfait, adhérer ne veut pas forcément dire appliquer, et des améliorations sont toujours possibles. À commencer par la sensibilisation des jeunes professionnels.

 

Non, on ne meurt pas sur scène

 

En effet, selon les chiffres d’ Artes & Comoedia, si un capital LPP de 150 000 francs, accumulé durant une carrière, représente un revenu annuel de 9 600 francs au moment de la retraite, à fin 2017, la rente projetée pour l’ensemble des assurés actifs de la Fondation était de 5 440 francs par année. Des montants qui s’expliquent en grande partie par les faibles revenus déclarés — contrats de courtes durées obligent —, mais également par une prise de conscience tardive quant aux conséquences d’absence de prévoyance. Une problématique qui n’est par ailleurs pas propre au milieu. Le fait est qu’à 20 ou 25 ans l’idée de retraite — parfois même de vieillir — est pour ainsi dire inexistante. Difficile dans ces conditions de consentir volontairement à investir une partie de son « maigre » salaire. La LPP est un problème de vieux, certes. Mais on omet que sa résolution doit être un défi de jeunes.

Un déni parfois accentué chez les jeunes comédiens, par cette vision romantique qui voudrait que lorsque l’on est un artiste, on le demeure jusqu’à la mort.

Autrement dit, que l’on ne prend pas de retraite. Merci Dalida. Mais ce fantasme ne résiste malheureusement que très rarement au mal de genoux, à l’arthrose, au souffle court ou, plus simplement, à l’offre du marché. En ce sens, une sensibilisation renforcée auprès des jeunes en formation dans les métiers de la culture et auprès des administrateurs de jeunes compagnies — cas d’exemple et témoignages à l’appui — semble être importante. Car, évidemment, plus les montants sont faibles, plus il est primordial d’épargner le plus tôt possible.

 

Parfois difficile de faire valoir ses droits

 

Voilà pour la théorie. Mais reste que ce manuel du bon élève se heurte, souvent, à cette triste réalité : la précarité est un handicap lorsqu’il s’agit de faire valoir ses droits.

En effet, difficile, en situation de besoin, de refuser un revenu, même si ce dernier ne répond pas aux bons usages en matière de cotisation. Un franc demeure un franc. Un jour de travail reste un jour de travail ; plus encore lorsque l’on aura à le justifier auprès de l’ORP.

Un scénario qui, s’il se fait rare lors d’un engagement pour le compte de grandes institutions, est encore bien d’actualité lorsqu’il s’agit de petites structures. Parfois par manque d’information, souvent par manque de moyens. Et le choix, dans le cadre de budget serré, est souvent de créer, quitte à économiser sur la LPP, au lieu de renoncer. Parce qu’on ne peut pas l’ignorer, le fait d’embrasser une carrière dans le milieu culturel est, avant tout, motivé par la passion. Celle-là même qui pousse parfois à bien des renoncements.

Une situation qui, là encore, peut être sensiblement améliorée par le biais d’informations, cette fois auprès des employeurs, quant à leur responsabilité et l’importance de contribuer à la prévoyance de leurs employés. Ceci ajouté à la nécessité — c’est de plus en plus le cas — que les subventionneurs, en conditionnement à leur soutien, s’assurent que les personnes engagées soient rétribuées correctement.

 

Le nerf de la guerre

 

Mais il n’en demeure pas moins que si ces actions de sensibilisation et d’information, à l’instar de la dernière campagne de la Fondation Artes & Comoedia, sont essentielles afin d’accompagner au mieux les professionnels de la culture, des arts, du spectacle et de l’audiovisuel dans la constitution de leur avoir de prévoyance, un véritable progrès de leur situation à l’âge de la retraite passera impérativement par une amélioration de leurs revenus. Un processus aussi complexe que délicat, tant il implique de modifications sans doute importantes dans les domaines des conditions de subventionnement, de contrôles, de répartition des montants alloués, de formation, d’offre culturelle, de reconnaissance du statut de professionnel des arts de la scène ou encore d’assurance chômage. Bref, les principaux chantiers sont identifiés. Leurs concrétisations dépendront de la volonté et de la capacité de l’entier des partenaires à collaborer. 

 


 

 

La LPP et eux…

 

Ils travaillent depuis plusieurs années dans le milieu les domaines de la culture, des arts, du spectacle et de l’audiovisuel. Comment ont-ils entendu parler de la LPP ? Quelles sont leurs difficultés ? Ont-ils des pistes d’améliorations ? Petit tour d’horizon non exhaustif avec des affiliés.


Marie Fontannaz, comédienne

« Je ne me souviens pas d’avoir été sensibilisée à ces questions de prévoyance lors de ma formation ou peut-être que cela a été brièvement le cas, mais pas suffisamment pour que cela m’interpelle. Et puis, ce n’est pas vraiment un sujet dont on parle entre nous, dans le milieu culturel. J’y ai surtout été sensibilisée par des proches qui ne sont pas du tout dans le domaine, et me suis ensuite renseignée sur ma situation dans le cadre d’un projet personnel. Je pense que d’informer les jeunes à ces questions est une bonne chose, mais il faudrait le faire de façon très concrète. La retraite, lorsqu’on débute sa carrière c’est très abstrait. Il me paraîtrait donc important, dans le cadre de cette sensibilisation, de donner des chiffres, des exemples de véritables situations. Car si cela parait loin, cela peut devenir très vite tangible : on a beau avoir beaucoup travaillé, si les choses n’ont pas été faites correctement, les montants dédiés à notre retraite peuvent être particulièrement bas. Alors parlons-en, renseignons-nous ! »



Jacqueline Corpataux, comédienne et administratrice de compagnie

« Je suis aujourd’hui à la retraite et touche une petite rente, même si j’ai commencé à cotiser tardivement. Ceci parce que je fais partie d’une génération pour qui la LPP — qui est devenue obligatoire en 1985 (ndlr) — était réservée aux emplois fixes et bien rémunérés. Je me suis véritablement souciée de ces questions lorsque j’ai endossé le rôle « d’employeur » comme administratrice. J’ai toujours été proche des syndicats et je voulais absolument faire les choses correctement. Et si la sensibilisation lors de la formation est importante, je pense qu’il est impératif de faire le même travail auprès des compagnies. Souvent, les jeunes comédiens montent leurs premiers projets en créant leur propre compagnie, mais ils ne sont pas forcément formés en administration et ne sont pas conscients de leurs responsabilités. Administrateur, c’est un vrai métier. Une autre chose essentielle me semble être la vérification de la manière dont les professionnels sont rémunérés de la part de tous les subventionneurs. Quant à la solution pour une meilleure rémunération, elle passe peut-être par des productions moins nombreuses, mais plus longues qui offrent une meilleure rémunération. »

 

 

Alexandre De Marco, comédien, metteur en scène.

« J’ai eu la chance d’être sensibilisé aux questions de prévoyance très tôt par ma mère qui était banquière. Très peu lors de ma formation, mais par le syndicat par la suite. Je pense que la situation est assez schizophrénique. D’un côté on sait tous que l’on devrait exiger que notre prévoyance soit payée, mais de l’autre on a aussi besoin d’argent pour vivre et ce n’est donc pas toujours possible de refuser. Le choix entre la retraite et la fin du mois se fait souvent au profit du second et certains employeurs en profitent. C’est un peu la même dynamique pour ce qui est du principe de cotisation dès le premier franc : on sait que c’est pour notre bien, que c’est un bon modèle, mais lorsque le mandat représente quelques centaines de francs, après déduction des frais de déplacement et autres, il est parfois tentant d’accepter de faire l’impasse sur la prévoyance. Pour ma part, je me suis fait à l’idée qu’il est devenu quasi impossible de vivre uniquement du métier de comédien. Beaucoup ne travaillent, hélas, même pas assez pour prétendre à des périodes de chômage. Je continue donc à pratiquer ce métier avec grand bonheur lorsque j’en ai l’opportunité et que les conditions sont correctes, mais j’ai opté pour un statut d’indépendant. Je facture donc mes mandats comme comédien, metteur en scène ou dans l’enseignement en incluant une part pour ma prévoyance. »



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Artes & Comoedia et Comoedia sont deux fondations suisses romandes actives dans la prévoyance et les assurances du secteur culturel | NLPD | Juridique

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