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La prévoyance professionnelle

PAR RAPHAËL MURISET, JOURNALISTE

Parfois abstraite, souvent complexe, la prévoyance professionnelle se résume souvent à une perspective floue et lointaine matérialisée, dans le meilleur des cas, par quelques chiffres au bas d’une fiche de paie et d’un Certificat de prévoyance. Derrière eux se cachent pourtant des enjeux cruciaux qui, selon qu’ils soient relevés ou pas, impacteront nos quotidiens une fois à la retraite.

Depuis 1975, la Fondation Artes&Comedia propose une solution de prévoyance professionnelle sur mesure pour le monde de la culture et ses spécificités.

  • Quels sont ses rôles et objectifs ?

  • Qui en sont ses bénéficiaires ?

  • Quels sont les défis auxquels le secteur doit faire face et quelles sont les évolutions qui pourraient permettre d’améliorer la situation des travailleurs du spectacle ?

Afin de tenter de répondre à ces questions et de concrétiser un peu plus nos activités, au cours des prochains mois, nous vous vous proposerons une série de trois articles. Ceux-ci vous permettront de découvrir, entre autres, l’histoire de notre Fondation — ses enjeux actuels et futurs — de questionner les acteurs de la culture et les milieux politiques quant à leur regard sur la prévoyance dans notre secteur et de faire connaissance avec certains de nos assurés.


Une crainte devenue une nécessité


Nous sommes en 1975, Pierre Graber est président de la Confédération et — sans doute, quelque part entre Lausanne et Genève — employeurs et syndicat des milieux culturels, des arts, du spectacle et de l’audiovisuel tiennent séance. Une démarche que l’on dit initiée par René Dovaz, fondateur et directeur de Radio Genève. Un média qui, à l’instar de la télévision, est alors un gros pourvoyeur d’emplois pour les comédiennes et les comédiens. Au terme de leur rencontre, ils décident de créer la Fondation Artes&Comedia.

Son objectif ? Fonder une caisse de prévoyance professionnelle sur mesure pour les travailleurs des milieux culturels.

«À l’époque, je pense que les comédiens gagnaient probablement mieux leur vie qu’aujourd’hui, mais la multiplication des employeurs, des contrats souvent de courtes durées et le fait de ne pas avoir de caisse où pouvoir épargner représentaient un réel danger une fois arrivé à l’âge de la retraite», analyse Thierry Luisier, co-président de la Fondation. Visionnaires, dix ans avant l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur la LPP, qui rend obligatoire la prévoyance professionnelle pour tous les travailleurs du pays, les acteurs des arts, du spectacle et de l’audiovisuel, décidaient ainsi d’anticiper ce danger et de s’unir non pas forcément pour se prémunir contre la précarité de leur métier, mais contre le risque qu’elle se matérialise une fois retraités.


 

La même union, la même mission


Près de cinquante ans plus tard, les objectifs de Artes&Comedia sont restés les mêmes. Tout comme le partenariat entre syndicat et employeurs, respectivement représentés par Anne Papilloud et Thierry Luisier à la tête de la Fondation. Un binôme qui fonctionne à merveille, assurent-ils. «Déjà, parce qu’on s’entend très bien ! Et puis, la nature tant de nos affiliés que de nos assurés fait que je ne suis pas là pour défendre les employés contre Thierry qui défendrait les employeurs. Cela ne fonctionne pas comme cela en matière de LPP», explique Anne Papilloud. Puis d’expliciter : «Nous défendons un secteur particulier où ceux qui sont aujourd’hui en situation d’employeurs ont souvent été employés et le redeviendront sans doute un jour». Démonstration de cette conviction commune pour la cause : aujourd’hui, en Suisse romande, plus de 800 employeurs sont affiliés à la Fondation — dont la spécificité est une obligation de cotiser dès le premier franc gagné et dès le premier jour travaillé. Les assurés, eux, sont plus de 7200. «Il arrive même que je doive conseiller à de nouvelles entités d’attendre un peu et d’être assez solides financièrement avant de s’affilier ».

Aujourd’hui, en Suisse romande, plus de 800 employeurs sont affiliés à la Fondation

Un véritable plébiscite qui n’a pas empêché, au cours des années, Artes&Comedia de devoir faire évoluer son fonctionnement et certains points de son règlement. À commencer par le statut des cotisants et de leur capacité à épargner.


 

Des situations plus compliquées


«À mon arrivée au sein de la Fondation, j’ai été surpris par plusieurs choses. La complexité du milieu de la prévoyance, très cadré, avec ses lois, son vocabulaire… On ne peut pas s’improviser co-président d’une telle structure. Des formations sont nécessaires pour être efficace. Et puis, ma deuxième source d’étonnement a été l’excellente santé financière de Artes&Comedia, ce qui est heureusement toujours le cas, alors que j’ai toujours entendu dire que la retraite était très difficile pour les professionnels du secteur», explique Thierry Luisier. Une situation imputable à la complexité du système de prévoyance, qu’il peinait à saisir dans un premier temps.


«Pour avoir une meilleure vision de la situation, nous avons donc décidé de lancer une étude», poursuit Anne Papilloud. Chose faite en 2020. Et le résultat est préoccupant. «Il est notamment ressorti que, depuis 2009, dans 76% des cas, les formes de départs en retraite sont en capital. Parfois par choix, mais dans 77 % de ces mêmes cas, cela est dû au fait que le capital épargné est trop faible et que, conformément aux dispositions légales, le montant accumulé doit être versé sans choix de la part de l’assuré», déplore Thierry Luisier. Un co-président qui, pour le coup, tenait la réponse à son énigme : la Fondation se porte bien, car le nombre de cotisants est important — du fait de l’obligation de cotiser dès le premier franc à laquelle veillent d’ailleurs de plus en plus de subventionneurs avant de bourse délier —, mais l’épargne individuelle est modeste.


«Ceci confirme, hélas, que les acteurs des métiers de la culture, des arts, du spectacle et de l’audiovisuel sont aujourd’hui, en très grande partie, dans une situation précaire et non seulement à l’âge de la retraite. Notamment, car si les contrats restent en grande majorité de courtes durées, les salaires sont désormais plus bas et les emplois se font plus rares. Ce qui conduit à de plus longues périodes durant lesquelles, il n’y pas de cotisation LPP», expose Anne Papilloud. Un cumul de difficultés qui, inévitablement, conduit aux conclusions de l’étude.



Sur mandat de la Conférence des délégué·es aux Affaires Culturelles des cantons romands et de la Commission romande de diffusion des spectacles, Mathias Rota a mené, entre 2021 et 2022, une étude sur le système des arts de la scène en Suisse romande. Cette dernière, publiée à la fin juin 2022, tire un certain nombre de constats et de recommandations et si ces dernières ne font pas l’unanimité, tous s’accordent pour dire qu’en l’état la précarisation des artistes s’aggrave et que la situation des arts de la scène et de ses professionnel.le.s doit être améliorée. 

L’étude est disponible ici

 

Des pistes d’améliorations


Se pose alors la question de savoir si une caisse de prévoyance dont les assurés n’ont, en majorité, pas la possibilité de toucher une rente n’est dès lors pas en situation d’échec.

«Non, on ne peut pas dire cela ! », rétorquent en chœur les deux co-présidents. «Au contraire, on peut même se réjouir du fait que, même s’il ne s’agit pas d’une rente, nos assurés ne partent pas les poches vides. La situation serait encore bien pire sans la possibilité de disposer d’un capital, même faible», tempère Thierry Luisier. «Maintenant, c’est vrai que nos assurés ne peuvent pas partir du principe qu’ils toucheront 50 ou 60 % de leur salaire simplement parce qu’ils sont assurés auprès d’une caisse de prévoyance.» Et à Anne Papilloud d’ajouter : «Malgré le plan adapté, aujourd’hui la Caisse ne peut pas remplir la mission fixée par les fondateurs, mais jadis dans un tout autre contexte».


Reste que des solutions et des pistes d’améliorations existent. «Elles sont nombreuses, seulement elles ne sont pas du ressort de notre Fondation», poursuit Anne Papilloud. «L’une d’elles serait évidemment que nos assurés gagnent mieux leur vie en moyenne annuelle, car la précarité à la retraite n’est que le miroir de la précarité durant la vie active. Mais cela implique des discussions entre d’autres acteurs que sont les producteurs, les gestionnaires de projets et, à l’instar de la question de la retraite des travailleuses et travailleurs à temps partiel, les politiques et les subventionneurs.»

Nous continuons notre travail de sensibilisation quant à l’importance de la prévoyance auprès des employeurs, des employés et des jeunes en formation

Quant à la Fondation, en plus de veiller à une gestion rigoureuse de l’argent des assurés, elle ne cesse de se questionner, de tenter de s’améliorer. «Nous menons des réflexions au sujet du modèle de cotisation, par exemple. Nous allons continuer de mener des études, afin de voir si, de notre côté, des choses restent à mettre en place pour tenter d’améliorer la situation de nos futurs retraités. Nous avons également élargi le Conseil afin qu’il soit plus représentatif des différents métiers du secteur. Et, puis, bien sûr, nous continuons notre travail de sensibilisation quant à l’importance de la prévoyance auprès des employeurs, des employés et des jeunes en formation», résument les deux co-présidents qui, conscients de ne pas détenir toutes les clés, sont plus que jamais déterminés à se battre pour leurs assurés. Certains que ce qu’il y a près de 50 ans était une crainte est aujourd’hui, hélas, devenu une nécessité. Qu’assurément, le défi de garantir des retraites dignes aux professionnels des milieux culturels, des arts, du spectacle et de l’audiovisuel ne pourra être pleinement relevé que si l’entier des acteurs impliqués parviennent à un accord tant sur les raisons du dysfonctionnement que sur les solutions afin d’y remédier.



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